A Crozant et à Fresselines, l’eau et la lumière, les roches et les végétaux se combinent en d’infinies variations. voilà qui fit le bonheur des peintres de 1830 à 1930, et fait le nôtre aujourd’hui.
L’attrait de Crozant se perçoit d’emblée : quoi de plus agréable à l’œil, de plus romantique voire photogénique que ces ruines de forteresse médiévale, posées au confluent de deux rivières ? Pour le visiteur moderne, le meilleur point de vue se dévoile depuis le rocher de la Fileuse. Le chemin d’accès, à partir du hameau de Saint-Jallet, est malaisé à trouver. Demandez aux riverains ou aux offices du tourisme, le jeu en vaut la chandelle : les tours s’élancent encore sur leur promontoire, témoins désormais inutiles des frontières d’antan. Partout ce ne sont que vallonnements, reflets du soleil sur l’eau, verts éclatants des bosquets et des forêts.
Pour un peu, on crayonnerait sur une feuille épaisse. Au XIXe siècle, les artistes ne se postaient pourtant pas là. « Ils préféraient les abords du village de Crozant, raconte Christophe Rameix, spécialiste des peintres de la région. Ainsi, ils saisissaient différents plans, d’abord la forteresse puis le rocher de la Fileuse au fond ». Quant au paysage, il était nettement plus minéral. L’expert reprend : « Oubliez toute cette verdure. A l’époque, la roche était apparente. Les collines, tapissées de bruyère, étaient parcourues par des bergers avec leurs moutons. »
À l’origine de l’engouement des artistes pour ce coin pauvre et reculé, on trouve l’omniprésente George Sand, la dame de Nohant dont la demeure familiale ne se situe qu’à 50 kilomètres. Elle possédait d’ailleurs une petite maison encore plus près, à Gargilesse. Ce paysage, écrit-elle, est « si riche d’accidents que le peintre ne sait où s’arrêter ». Ajoutons le côté pratique avec une desserte directe en chemin de fer depuis Paris, et une nature plus pittoresque qu’à Barbizon, et la mode est lancée. En une centaine d’années, près de 500 artistes posent leur chevalet ici.
On parle souvent d’école de Crozant mais il faut plutôt voir le lieu comme une étape majeure pour les peintres de plein air, à l’instar d’Étretat ou Pont-Aven. L’hôtel Lépinat, l’ancienne auberge qui les accueillait est devenue un centre d’interprétation où l’on retrace cette épopée avec quelques œuvres. Mais pour en retrouver l’esprit, rien n’égale une balade en bord de rivière. La Creuse a perdu de son charme, ses gorges étant partiellement noyées par le barrage d’Éguzon. Mieux vaut privilégier la Sédelle et son frais couvert arboré, ses restes de moulins et ses éboulis rocheux. Depuis le village, un sentier de 3,5 kilomètres, ponctué de panneaux, parcourt les coins pittoresques où pêchaient naguère les dames en robe à crinoline.
Si Armand Guillaumin ou Francis Picabia sont des artistes renommés, ils ne pèsent guère face à Claude Monet. À l’invitation du poète Maurice Rollinat, le maître normand débarque en 1889 à Fresselines, à 8 kilomètres. Il néglige Crozant, préférant faire ses premières séries autour d’un autre confluent, celui de la petite Creuse et de la grande Creuse. Moins spectaculaire que celui de Crozant, le site est encore plus sauvage. Ralenti par le mauvais temps et pointilleux, Monet fait même effeuiller un chêne pour contrer l’avancée du printemps. On le suit sur une boucle de 3 kilomètres. Et puis l’on retrouve le présent dans le joli village de Fresselines. Les tuiles y ont remplacé le chaume et où le garage automobile est devenu galerie d’art.
De Monet à l’art contemporain
Sur un écran géant défilent 17 des 25 toiles qu’aurait peintes Claude Monet à Fresselines, avant leur dispersion dans les musées du monde. Non loin travaillent des artistes venus de tous les horizons… L’ambition du tout nouvel espace Monet-Rollinat à Fresselines (il a ouvert en juillet 2018), c’est de redonner du souffle à la création artistique dans la région. Chaque année des artistes du monde entier vont présenter des œuvres en lien avec la vallée, notamment les confluences cette année. Le centre se veut un lieu de vie, où l’on s’imprègne d’art et de poésie, avant de sortir prendre le vert « sur le motif ».