Si Hendaye a les pieds en France, sa tête est déjà un peu en Espagne, sur l’autre rive de la Bidassoa. Pas de pont pour traverser l’estuaire mais une navette dessert Fontarrabie (Hondarribia). Quelques demeures de privilégiés veillent sur les marées et les bateaux. Le plus illustre fut certainement Pierre Loti. C’est d’ailleurs là que l’écrivain-voyageur s’éteignit en 1923. Sans doute appréciait-il les villas néobasques et le casino d’inspiration mauresque, désormais reconverti en galerie marchande, qui ornent le front de mer.
À leurs pied, 3,5 kilomètres d’une superbe plage, au sable aussi fin que blond, courent de la Bidassoa aux Deux-Jumeaux. Ces fameux rochers marquent le début de la Corniche basque. Elle déroule ses falaises, ses prés et ses landes sauvages sur 8 kilomètres, jusqu’à la baie de Saint-Jean-de-Luz. Un sentier mène au sommet de la falaise en quelques minutes, vers un étonnant château.
Il marque les esprits tant il semble surgir d’une contrée celtique. Abbadia est un édifice unique en son genre, conçu à partir de 1864 par Antoine d’Abbadie, un franco-irlandais à la fois esthète, voyageur et homme de sciences. Difficile d’imaginer un extérieur plus néogothique avec ses tourelles, ses créneaux et sa pierre grise. Le concepteur n’est autre du’Eugène Viollet-le-Duc, plus connu pour ses innombrables restaurations – de Notre-Dame-de-paris à Carcassonne – que pour ses rares réalisations.
Le bestiaire sculpté adopte le ton de la fantaisie, l’éléphant y côtoie sans gêne l’escargot. Le hall d’entrée impressionne avec son escalier qui s’envole vers des tableaux racontant l’Éthiopie. Antoine d’Abbadie y passa onze ans, cartographiant le pays et décrivant ses usages. Le quotidien des habitants est représenté avec naturel, les plaçant ainsi sur un pied d’égalité avec les Occidentaux.
L’aménagement du château illustre l’éclectisme du XIXe siècle : sombre mobilier en fruitier ou en ébène, précieuses tentures, murs polychromes, bibelots ou meubles exotiques, cheminées ouvragées, pièces ornées de maximes dans plusieurs langues telle « Plus être que paraître ». La tribune sur la chapelle ouverte dans la chambre de Madame augure d’une certaine austérité.
Il n’en est rien, comme en témoignent le boudoir à coupole et le salon arabe au mobilier raffiné. Les sciences ont la part belle, de la bibliothèque à l’observatoire astronomique. Sans descendant, Antoine d’Abbadie a d’ailleurs légué le château à l’Académie des sciences qu’il dirigea. Elle l’utilisa pendant plusieurs décennies, n’ouvrant les lieux en totalité qu’en 2008, après une restauration d’envergure.
À l’origine, un domaine de 435 hectares avec vue sur montagne de la Rhune s’étendait autour. le Conservatoire du littoral en a récupéré le cœur. Une soixantaine d’hectares sont désormais protégés, surveillés et semés de chemins de randonnée. À la maison de la Corniche, des animateurs initient volontiers à la faune aviaire, aux potences pour ramasser les algues rouges, aux plantes endémiques comme le grémil prostré à fleur bleue. En contrebas, l’océan bat les rochers. Est-on en France, en Espagne ou en Irlande? Après tout, qu’importe….
Vivre au-dessus des rails
Pendant 150 ans, la voie ferrée a coupé le centre-ville d’Hendaye en deux. Il fallait emprunter un pont, rue de l’Eglise, pour franchir la tranchée. Désormais, une dalle de béton recouvre les rails sur plus de 300 mètres et redonne une unité à la ville. Un gigantesque projet immobilier baptisé Hegoaldea (« côté sud » en basque) sera achevé d’ici peu. Il comprend 7 immeubles et 324 logements( sociaux, en résidences senior et classiques), des parkings mais aussi de nombreux commerces autour d’une nouvelle place.